"Les actes racistes risquent de se multiplier"
Propos de Samuel Thomas, Vice-Président de SOS Racisme, recueillis par Cécile Maillard pour Le Nouvel Obs
Parmi les six personnes en garde à vue pour agression raciste à Lille, on compte deux jeunes gendarmes. Cela vous étonne-t-il ?
- La présence d'uniformes officiels dans les agressions racistes n'est
pas nouvelle. Dans l'affaire des incendies de mosquées à Annecy,
certains auteurs étaient des militaires, des chasseurs alpins. Dans
celle des incendies de boutiques de kébabs à Auxerre, on a retrouvé des
éléments d'uniforme d'adjoints de sécurité (police). Les groupuscules
ont toujours aimé recourir à l'uniforme, mais il est inquiétant qu'il y
ait parmi eux des personnes qui le portent parce qu'elles assurent des
missions de maintien de l'ordre. Soit les Renseignements généraux sont
vraiment nuls, en ne connaissant pas les activités de ces gendarmes,
soit ils laissent faire, pour récolter des informations supplémentaires
le jour où ces personnes passeront à l'acte. Mais les activistes
d'extrême-droite doivent être interpelés avant qu'ils ne passent à
l'acte. Les surveiller ne doit pas se limiter à faire des fiches.
Le Front national n'a pas obtenu de bons scores aux élections
de cette année. Ne craignez-vous pas que les groupuscules
d'extrême-droite, en l'absence de relais légaux, redoublent d'activité?
- D'abord, je n'enterre pas le Front national (FN), dont les scores ne
sont pas si faibles: à l'élection présidentielle, Jean-Marie Le Pen n'a
fait "que" 10 % parce que le taux de participation était élevé. Mais au
total, il n'a perdu que 700.000 voix et il lui en reste près de 4
millions.
Le fait qu'au sein de l'extrême-droite, il y ait un parti politique
capable de structurer et de tenir les groupuscules, peut être considéré
comme un moyen de canaliser ces groupes dans des formes d'action non
violentes. Mais les groupuscules, depuis toujours, s'affranchissent de
l'autorité du Front national. Et nous n'allons tout de même pas
regretter l'absence de l'extrême-droite au Parlement! Plus on la laisse
distiller ses discours de haine, plus on nourrit les actes violents.
Le score du FN ne doit pas masquer une certaine vitalité de
l'extrême-droite. Cette année a été marquée par la surenchère du
Mouvement pour la France de Philippe de Villiers. Pour récupérer des
voix mais surtout des militants, le MPF a attisé la haine contre les
musulmans. Je remarque d'ailleurs que le MPF, malgré ses dérives
xénophobes, est resté dans les alliances municipales avec l'UMP.
Le plus grave, selon moi, est qu'un parti de gouvernement, l'UMP, ait
repris à son compte les thèmes de l'extrême-droite pour attirer ses
électeurs. En créant un ministère de l'Identité nationale et de
l'Immigration, Nicolas Sarkozy laisse entendre que cette identité est
menacée par les immigrés. C'est une vieille idée du FN et des
groupuscules. Le message envoyé à ces groupes est clair: en ayant eu
raison avant tout le monde, ils sont l'avant-garde de la société
française. Les actes racistes risquent de se multiplier.
Selon les chiffres de la Commission nationale consultative des
droits de l'Homme, leur nombre a baissé en 2006. Il pourrait repartir à
la hausse, selon vous ?
- Je n'accorde aucun crédit aux statistiques sur les actes à caractère
raciste ou antisémite, qu'elles montrent une hausse ou une baisse. Ce
sont les plaintes qui sont comptées, et non les agressions. Or les gens
ne portent plainte que lorsqu'ils se sentent soutenus, quand un acte
raciste a par exemple été très médiatisé et a suscité une réprobation.
Sinon, ils ont peur et se taisent.
Mais on sait qu'à chaque campagne électorale, les actes racistes
connaissent une recrudescence. Au lendemain des grands meetings du
Front national ou du Mouvement pour la France, les troupes sont
galvanisées et passent à l'acte. La campagne virulente du FN dans le
Nord, qui a permis à Marine Le Pen de recueillir 41% des voix au second
tour des législatives, s'est traduite par plusieurs profanations de
cimetières dans cette région, en début d'année. Voilà l'impact du Front
national sur la société française.